Artiste Plasticien
CRITIQUES D'ART
Daniel Mourre, Oxydations
Effondrement de l’art
Autodidacte, Daniel Mourre exprime de manière originale le monde qui nous entoure. Il travaille l’empreinte de l’Homme dans son environnement à travers un objet qui s’est imposé à lui et qui représente le symbole dérisoire de la civilisation moderne : la bouche d’égout. Ce matériau passe ici par la maîtrise de la rouille qui imprime l’action du temps.
L’artiste a créé 11 séries différentes d’œuvres sur l’empreinte de bouche d’égout à partir de rouille sur différents supports : toiles, dessins, cartons, tôle de fer, sculptures. Tous ces supports sont issus de ses propres déchets ou rebuts artistiques. L’auteur puise son imagination dans ses interrogations viscérales plus que dans les autres courants artistiques déceptifs au moment où la bouche d’égout signale une absence d’ego mais non d’interprétation de la part du créateur.
Soucieux du milieu où il vit, Daniel Mourre critique une société qui, écrit-il, “marche sur la tête comme on peut marcher sur une bouche d’égout sans plus y faire attention”. Et ce, du point de vue archéologique d’un survivant de l’effondrement actuel qui découvrirait des fossiles de notre société après la disparition de l’Homme.
L’artiste transforme de la sorte la notion de temps. Il l’étend en la poussant en un paroxysme qui pose la question de l’avenir de l’homme, de la vie et de l’art. La vision même de l’objet d’art à la Duchamp est altérée et mise à mal et en abyme par l’oxydation.
Mais l’effondrement de l’art devient ici l’appel à sa renaissance par un travail de reprise et de remise impressionniste où s’inscrivent, à partir de la nasse de la fonte, à la fois sa syncope et des songes.
Jean-Paul gavard-perret
Texte paru le 2 janvier 2021 dans www.lelitteraire.com par Jean-Paul GAVARD-PERRET Philosophe et critique d'art.
Daniel Mourre,
Ses talismans d’incandescence
Daniel Mourre ne cesse d’aller dans les extrêmes. II affronte l’impensable, et l’abîme est son territoire d’âme. Regard en scalpel, redresse le monde, et l’horizontalité foulée aux pieds devient sublime verticalité, solaire et méditative. Il cherche à terre, sur les trottoirs fatigués des villes, les secrets de l’existence. Quand le monde est bafoué, d’autres regardent le ciel sans jamais voir les hauteurs.
La plaque d’égout, par lui, se fait sanctuaire aride et fascinant, bouche d’ombre traversée de mystères. Elle devient mandala envoûté, obsessionnel et fascinant, surespace concentré de toutes les frontières de l’univers. Celles de l’humanité et de la nature saccagée, celles du beau et de l’infâme, de la lumière vive et de l’horreur sombre, de la vie brève et de la mort infinie.
Art d’aventure humaine à hauts risques, et parcours d’impossible chemin. Les empreintes miraculeuses et indéfinies de Daniel Mourre sont des tremplins inouïs vers les confins lointains du dehors fragile et du dedans intime. Des talismans précieux. Des voies de secouante lucidité.
Il n’y a pas d’art sans matière. Celle de Daniel Mourre est riche, complexe et surprenante, née d’un dispositif par lui inventé, où la nature, le temps et le hasard interviennent. Des poussières de rouille ensemencent chaque œuvre travaillée recto-verso, et sans fin l’œil vagabonde. Matière plurielle, hétérogène et complexe : un grand peintre, via ses surprenantes empreintes, est à l’œuvre. La bouche d’égout, en aventureuse ivresse, est devenue le double incandescent de Daniel Mourre.
Cependant, malgré la source abandonnée d’une simple plaque de misère urbaine, sous l’effet d’une implacable maîtrise, cette matière toujours somptueuse se renouvelle à chaque surgissement. Miroir de traces et de signes vécus. Art sacralisé d’archéologie mentale, prodigieux et agissant.
A Troyes, le 28 janvier 2021
Christian Noorbergen
Texte de Christian Noorbergen Philosophe et critique d'art.
Celui qui devient qui il est : entretien avec Daniel Mourre (Oxydations ).
Présentation et entretien réalisés par Jean-Paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 3 janvier 2021.
L'infatigable travailleur et créateur, Daniel Mourre propose une œuvre d’exigence et poétique. Attentif à ce qui est, il s’oppose à — écrit-il — ” marcher sur la tête comme on peut marcher sur une bouche d’égout sans plus y faire attention”.
Cet objet est devenu un lieu emblématique de son œuvre. C’est par un tel objet que tout passe.
C’est pour lui la paroi de l’espace de notre temps. Là où nous trépignons sur l’immuable, l’artiste élargit notre vision.
Aucun credo n’assigne de limites à une recherche authentique et qui se refuse à toute imitation.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de créer, de m’améliorer, et l’espoir. L’espoir d’avoir une bonne nouvelle suite à l’envoi par mail de centaines de dossiers dans l’attente de réponses.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je les concrétise depuis le 24 janvier 2019 où j’ai trouvé la foi en moi et mon art. Avant cette date, j’essayais sans foi.
A quoi avez-vous renoncé ?
A rien. La vie m’offre tout ce dont j’ai besoin quand je le pense et quand je le demande.
D’où venez-vous ?
De Sauveterre du Gard, où j’ai passé toute mon enfance. Avant ça, j’étais une âme appelée et choisie par une famille qui m’a éduqué pour être ce que je suis désormais. Son empreinte a été forte dans ses extrêmes.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
Physiquement, les dons de mon père pour son côté manuel ; et psychologiquement les angoisses et les psychoses de ma mère. Les empreintes éducationnelles, même si elles me font souffrir, ont révélé l’être et l’artiste que je suis à présent.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
1 heure de méditation, de relaxation ou d’hypnose pour me retrouver, m’ancrer et créer. Depuis 2 ans je ne me cherche plus, je me crée.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Mon travail est singulier et personnel. Je cultive mon originalité et mon unicité. J’essaie de faire ce que les autres ne font pas, en m’inspirant de ma vie et mes expériences. J’essaie de ne m’inspirer de personne d’autre.
Comment définiriez-vous votre approche de l’oxydation ?
Je ne l’ai pas cherchée. Elle s’est imposée à moi. Au départ, c’est suite à une réflexion sur l’impact de l’homme dans son environnement que j’ai travaillé la bouche d’égout qui était cachée sous la moquette d’un salon professionnel. Elle m’a été révélée par le passage de milliers de personnes. C’est par la suite par des infiltrations d’eau inopinées sur des empreintes, et des recherches que le phénomène d’oxydation s’est révélé à moi.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Les santons colorés de la crèche provençale de mon père, puis les personnages de Bambi par « Maco moulage » reçus comme cadeau à Noël pour mes 5 ans. C’était beau. Ca a été mon premier travail sur l’empreinte à partir d’un moule.
Et votre première lecture ?
“Au nom de tous les miens” de Martin Gray ; puis tous les Pagnol.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Tout. Je m’intéresse à tout.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Au nom de tous les miens” de Martin Gray, puis tous les Pagnol
Quel film vous fait pleurer ?
“La liste de Schindler”, entre autres.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Depuis le 24 janvier 2019, un homme qui me plaît et que je trouve beau, investi d’une sorte de divinité. Avant cette date, un être torturé que je ne voulais pas voir.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’ai écrit à presque à tout le monde, cela ne m’effraie pas, j’ai de l’audace. La preuve, je vous ai écris alors que vous ne me connaissiez pas, et vous m’avez répondu.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Certaines sont légendaires, mais tous les endroits du monde ont du charme si on s’attarde un peu. Cela dépend aussi avec qui vous êtes.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Les nouveaux réalistes (César, Klein, Arman), le mouvement du Land Art , l’Arte Povera et Van Gogh pour sa personnalité et son œuvre. Les premiers artistes de l’humanité dans la grotte de Chauvet. Et tant d autres.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une réponse positive pour une première exposition dans une grande galerie d’art connue, sans que le Covid n’y mette fin.
Que défendez-vous ?
La vie par la mort, le beau en magnifiant le laid, la lumière par un passage du sombre au clair, la trace par son effacement et l’effacement par sa trace.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Pourquoi insister si ce n’est pas partagé ? C’est que c’était pas la bonne personne. La vie nous donnera ce que l’on veut le temps venu. Il faut savoir attendre.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Dire oui même si on ne connaît pas la question. L’expérience bonne ou mauvaise fait partie de la vie.
Et si le cœur vous en dit celle de Vialatte : “L’homme n’est que poussière c’est dire l’importance du plumeau” ?
Rigolote mais aussi trop sérieuse pour la décortiquer en une phrase pour moi.
Mon résumé : « Profitons de chaque instant, nous ne sommes rien»
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Pour quelles raisons mon art a-t ’il attiré votre attention ?
Daniel Mourre, Impacts et signes
Une trace est un témoignage, intentionnel ou fortuit. Certains indigènes, cheminant pieds nus, poursuivent par la seule perception d’indices invisibles, le gibier qu’ils ont tactilement reconnu. Des gitans indiquent par un signe dont seuls ils connaissent l’existence, les maisons accueillantes. Opalka identifie toiles et dessins par la seule énumération vocale et graphique des chiffres concernés. Les palimpsestes recèlent leurs histoires tandis que des incisions pariétales révèlent la chasse ou la pêche de l’homme de la préhistoire…
Il convient que le contemplateur, profane ou spécialiste, possède un code de lecture, une capacité d’appréciation émotive et intellectuelle pour comprendre la formulation du message et concevoir sa portée.
Daniel MOURRE s’est passionné pour les moquettes des salons professionnels. Il en a conservé les fragments après usage, s’intéresse à leurs empreintes, à leurs couleurs, à leurs usures. Il a déterminé les motifs encore visibles qu’il pouvait faire apparaître par impression sur du papier Canson. La plaque sert ainsi de matrice, sa coloration modifiée par le temps pouvant également être renforcée par la rouille ou l’adjonction de goudron.
Des séries sont ainsi constituées selon les empreintes, du verso qui a supporté le poids des visiteurs sans contact direct au recto qui fut le témoin direct de toutes les visites.
Ces déchets, ainsi que les plaques de fibre de bois naturel placées sous les parquets flottants conservent dans leur vieillissement le secret de leur naissance et de leur évolution. Comme des lithographies géantes, leur impression nous offre l’imaginaire.
Qui furent les visiteurs ? Quelle fut la durée du stationnement créateur ? Quelle folle histoire leur réalité usée mais authentique nous offre-t-elle ? Picasso ou Man Ray cultiva un « jardin de poussière » … Les “ready-made”, fruits de dérision déclenchèrent l’art contemporain. La démarche n’est pas ici dérisoire. Elle conserve par le respect d’un décor industriel plus ou moins effacé par l’usure et le temps, le substrat qu’enrichit l’artiste découvreur.
Ainsi par la conjonction de visiteurs anonymes mais réels, d’une décision commerciale évidente et de la décision personnelle d’un artiste sont réalisées des séries originales non négligeables.
Peut-on souhaiter que ce modeste article contribue à les faire connaître ?
Cagnes sur mer 2016 Michel GAUDET
Critique d’Art par Monsieur Michel GAUDET sur mon travail artistique de l’empreinte 2016